« Faites-vous de la permaculture? »

Cette question on me la pose quasiment systématiquement lors de mes visites de jardin ou lors d’une prise de contact pour un stage. Je dois dire que cela me pose un sérieux problème d’y répondre, voire, cette question me hérisse quelque peu. Elle sous-entend que la permaculture ne s’applique qu’à la seule pratique du jardinage, dans le sens « cultiver de manière permanente et résiliente », elle est même souvent réduite à la culture en butte. Pour moi, la permaculture est davantage une philosophie, une approche globale qui permet de revoir totalement notre mode de vie et de construction sociétale dans tous ses aspects. Le sens serait davantage « avoir une philosophie de vie permanente et résiliente ».

Qu’est-ce que la permaculture?

La définition de la permaculture donnée par le dictionnaire « Larousse » est la suivante :

Permaculture : Mode d’agriculture fondé sur les principes du développement durable, se voulant respectueux de la biodiversité et de l’humain et consistant à imiter le fonctionnement des écosystèmes naturels. Elle est économe en énergie et en travail.

Larousse

En d’autres termes, une agriculture du bon sens… Mais le « bon sens » ce n’est pas vendeur, il faut un terme qui le soit.

Cette définition montre bien que le sens le plus communément admis est strictement lié à un mode d’agriculture, ce qui, je trouve, est un peu limitatif. On parle alors de « culture permanente » et non de « culture de la permanence », notion quelque peu différente.

Alors oui, initialement la permaculture est née dans le domaine de l’agriculture et a été théorisée dans les années 1970 par Bill Mollison et David Holmgren. Mais très vite, ce mode de pensée a pu être étendu à de nombreux domaines de la vie et de la société. Car restreinte uniquement au domaine agricole, la philosophie permaculturelle n’aurait pas grand sens.

Précision historique cependant, les bases techniques de la production végétale dite « permanente » ou « résiliente » date de bien plus loin. Dès 1910, l’américain Cyril Hopkins publiait son livre « Fertilité des sols et agriculture permanente » (Soil fertility and permanent agriculture)… Il se posait déjà la question d’un système de production soutenable sur le long terme et posait les bases techniques de la permaculture d’aujourd’hui. Lui-même fut inspiré par les travaux de nombreux agriculteurs et scientifiques du 19e siècle. Bref, autant dire que l’on n’a rien inventé et que la permaculture d’aujourd’hui a des racines bien plus profondes et ramifiées qu’on l’imagine.

Les grands principes de la permaculture

Le principe de la permaculture dans le domaine de l’agriculture, et par extension dans le jardinage est une approche systémique qui prend en considération les lois de la nature, qui s’inscrit dans l’écologie naturelle du milieu, qui intègre dans son système la biodiversité des écosystèmes. Le système permaculturel permet d’obtenir un écosystème résilient et durable au jardin, avec pour le jardinier la garantie d’un modèle pérenne, productif et peu coûteux.

Si l’on considère cette définition comme seule et unique sens de la permaculture, alors oui, je peux dire que je jardine en permaculture, et ce bien avant d’avoir eu connaissance de ce terme, tout comme bon nombre de jardiniers amateurs ou maraîchers professionnels qui ne se présentent pourtant pas sous cette étiquette.

Mais par contre si l’on considère la permaculture dans un sens beaucoup plus large, comme Bernard Alonso & Cécile Guiochon dans leur ouvrage « Permaculture humaine », cela prend une tout autre dimension. La permaculture propose alors une approche systémique de la société, de son fonctionnement à toutes les échelles. Elle envisage, les relations humaines comme un écosystème et proposera des solutions, ou du moins des clés de réflexion pour les trouver et pérenniser notre société à plus ou moins grande échelle... Cela s’applique donc à des domaines très variés tels que le travail, la vie quotidienne (énergie, habitat, alimentation, redéfinition des besoins…), le fonctionnement au sein de sa famille, de son quartier, de son village, de sa ville… La permaculture humaine vise alors à nous inscrire dans notre écosystème, à y trouver notre place, et ce de manière pérenne… donc un système stable, mais pas figé pour autant, en constante évolution. La permaculture donne accès à une capacité de résilience facilitant l’adaptation aux changements. La permaculture n’est pas une science statique, loin de là, elle nous pousse à réfléchir à comprendre et à observer en permanence ce qui nous entoure, à réfléchir nos actes, à conscientiser nos choix. Ceci prend tout son sens en cette période de crise du Coronavirus que nous traversons aujourd’hui. À méditer donc…

Alors, suis-je une permacultrice??

Du coup, lorsqu’on me demande « Faites-vous de la permaculture? », vous comprendrez pourquoi j’ai beaucoup de mal à répondre « oui », car pour moi c’est le sens global qui s’applique, et je serais bien prétentieuse de pouvoir affirmer m’y inscrire totalement. Certes, j’ai des toilettes sèches, certes je cultive mon jardin de manière pérenne et écologique et durable en respectant son écosystème, certes nous avons un mode de vie qui tend vers… mais nous avons tellement de choses à améliorer, voire desquelles nous devrions totalement nous affranchir, que je ne peux décemment pas répondre « oui » à cette question. Il y a encore beaucoup trop de chemin à parcourir.

À ce jour, le seul véritable permaculteur que je connaisse dans mon entourage proche, et qui a toujours été un exemple est Alain. Ce que j’ai toujours apprécié chez lui, c’est sa manière de vous convaincre par l’exemple… et ce, sans jamais juger vos choix actuels, conscient du chemin à parcourir pour chacun. Il est par ailleurs toujours en recherche, avide d’apprendre et de comprendre, d’analyser… et d’améliorer tout ce qui peut encore l’être. Bref, toutes les qualités qu’il faut pour une pratique authentique de la permaculture.

Un modèle de vie permaculturel

Un autre point qui me pose problème dans l’usage souvent erroné ou partiel du terme « permaculture » est l’effet de mode. C’est très « tendance » de jardiner en permaculture. De plus ce terme est associé à une notion pécuniaire quasi systématique. À ce propos en décembre 2018, j’ai vu passer une affiche pour une conférence près de chez moi dont le titre était « Peut-on vivre de la permaculture? » proposé par Joan Verdugo de la Ferme Can-la-Haut en Haute-Garonne. À première vue, je trouvais ce titre un peu racoleur, mais j’y suis quand même allée, et honnêtement je n’ai pas été déçue.

C’est en conscience que Joan Verdugo avait donné ce titre, afin de faire venir des gens de tout poil et surtout ceux qui avaient une idée erronée de la permaculture (futé le gars). Car en substance ce qu’il a délivré comme message, c’était que vivre de la permaculture implique avant tout certains renoncements, et notamment celui de gagner beaucoup d’argent?! Il a démontré, par sa propre expérience, qu’en suivant ce modèle, on vit mieux et finalement on dispose de tout ce dont on a besoin. Cela ne peut être quantifiable en terme financier. Bien qu’en substance, la finalité est d’augmenter son pouvoir de « non-achat » plutôt que d’augmenter son « pouvoir d’achat ».

Joan est un permaculteur accompli, qui a compris la nécessité de revoir tout son modèle de vie : travail, habitat, alimentation, fonctionnement familial. Il a surtout appréhendé différemment la manière de s’inscrire dans son environnement écologique, mais aussi social au sein de son village d’adoption (échanges, partage, transmission…). Il est maraîcher et est en constante évolution et réflexion autour de son système de vie et de production. Un véritable permaculteur qui s’interroge continuellement et évolue. Lors de cette conférence, de nombreuses questions tournaient autour de la « rentabilité financière » de son exploitation, de ses résultats en « Euros ». Certaines questions fusaient : « mais combien faites-vous de bénéfices? », « combien faites-vous de profits à l’hectare? »…. Eh oui, les gens voulaient des réponses concrètes selon leur mode de pensée (profits, bénéfices…), comme si une activité n’avait de valeur que par le résultat financier qu’elle était susceptible d’engendrer. Et lui de démontrer, que là n’était pas la question, et que c’était justement cette donnée qu’il fallait sortir du raisonnement. Certes nous devons vivre de notre activité, payer des factures… mais ce qu’il a parfaitement démontré en nous exposant, non pas que son activité, mais son mode de vie global, était que ses besoins financiers ont été considérablement réduits. Au final en gagnant peu aujourd’hui il vit bien mieux qu’avant (il était vétérinaire)…

En conclusion

Le jardin nourricier, conduit de manière écologique et durable, n’est qu’une petite partie de la permaculture. Mais c’est « le » domaine que je maîtrise bien aujourd’hui, dans le contexte et les besoins qui sont les miens. Il nourrit ma famille en légumes et protéagineux (manque encore les céréales). Il me reste dans les autres domaines bien du chemin à parcourir!

Ce qu’il faut retenir à mon sens, c’est que la permaculture est un mode de pensée qui touche tous les aspects de notre vie. Qu’elle ne propose pas de solutions toutes faites, mais bien un mode de réflexion permettant à chacun de trouver les solutions en fonction de son environnement, de son milieu, de son réseau social (et je ne parle pas de Facebook). Si vous voulez aborder la permaculture, fuyez les solutions toutes faites, mais analysez, intégrez de nombreux exemples et expériences. Réfléchissez à la manière dont cela est transposable chez vous. Cela vaut pour le jardin, comme pour votre mode de vie en général. Fuyez également les personnes qui « savent absolument tout » sur le sujet. Par définition, la permaculture est une science en mouvement et ayant tellement de ramifications qu’il est juste humainement impossible de tout savoir. L’humilité, la curiosité, l’ouverture d’esprit seraient les premières qualités à développer…

 Pour aller plus loin

Pour un stage en permaculture (approche globale)

Et pour un stage plus spécifique sur le jardinage nourricier et familial en Alsace, c'est ici :

Les stages « Mon Jardin Nouricier »

Ouvrage à lire

« Permaculture humaine, des clés pour vivre la transition »
Bernard Alonso et Cécile Guiochon aux Éditions Écosociété

Texte et illustration : © Noëlle Guillot - Mon Jardin Nourricier

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